2022-2023 L'allégorie du Capitaine - Vincent Lemay - St-Louis

Venice House Journal de St. Louis ROCKET

L'allégorie du Capitaine

Il n'est parfois pas aisé de transmettre adéquatement une pensée dans un texte formaté. Pour cette raison, différents auteurs à travers les sièces ont utilisé l'allégorie pour mieux faire comprendre une situation. Le terme allégorie consiste à exprimer une pensée sous une forme imagée afin de faire comprendre, sous le sens littéral, un autre sens, qui est celui visé par le texte. L'allégorie de la caverne de Platon est possiblement l'une des plus connues, que vous avez probablement vue au Cégep si vous y êtes allés. Les paraboles bibliques sont un autre bon exemple, les contes pour enfants aussi. Je vous partage aujourd'hui l'Allégorie du Capitaine, qui j'espère, vous permettra de voir plus clair.

C'est l'effervescence en ce mois de septembre sur le Rocket, ce bateau légendaire dont tout le monde a entendu parler et qui fait l'envie de tous les capitaines. Le Capitaine de ce navire, le célèbre John Le Rouge, est sans aucun doute le plus craint et le plus respecté, non seulement par son équipage, mais par toute la communauté websimienne. C'est qu'il en a vécu des crises, des tempêtes, des maladies, mais toujours il était à la barre d'une main de maître. Il était à la fois le Capitaine fort qui ne s'en laissait pas imposer, il était aussi capable d'être magnanime et savait toujours dans quelle direction amener son navire, pourtant souvent bringuebalé dans des contrées peu connues et éloignées. Il en avait évincé des matelos incapables de tenir le coup, il en avait recruté des nouveaux qu'il croyait avoir les reins assez solides pour survivre aux eaux troubles et aux traversées futures. Il pouvait être fier de ce qu'il avait bâti. Un bateau flamboyant qui brillait de mille feux, avec un équipage élite et hétéroclite (j'imagine qu'il accepterait aussi des homoclites) qu'il est impossible de réunir sur le même bateau à moins de s'appeler John le Rouge. Il inspirait le respect seulement à voir sa barbe taillée à la perfection qui se terminait par une longue barbiche pointue. Ses yeux expressifs laissaient voir une intelligence qui dépassait de loin celle des pauvres mortels. Par ailleurs, personne n'osait lui tourner le dos, chacun savait quelle surprise pourrait advenir le cas échéant. On lui prêtait des pouvoirs surnaturels et les noms dont on l'affublait pouvait varier d'une culture à l'autre, le Messie, le Sauveur ou tout simplement Jo. Quoi qu'il en soit, il était la Lumière, le Phare que tout le monde allait suivre peu importe les intempéries et les épreuves rencontrées.

Depuis quelques semaines déjà, les préparatifs pour la traversée prévue le 1^er octobre étaient déjà bien avancés. John le Rouge avait recruté les Matelos Olfuss, Côté et Boulay, de bons marins assurément, dont il avait d'ailleurs pu tester les compétences pour la pêche (aussi appelé repêchage en vieux français), le troc (ça c'était surtout Côté) et les signatures de contrats. Par ailleurs, il avait aussi réussi à mettre en place avec le Matelos Lemay, ce qu'il espérait être le premier modèle de Co-Capitainerie. En gros, c'était simple, John le Rouge comptait continuer à tenir la barre et déléguer les tâches d'amusement à Lemay, qui de toute façon s'amusait à les faire. C'était un mariage qui ne pouvait échouer, chacun faisait ce qu'il aimait. Jo continuerait à mener le Rocket de main de maître, de décider les destinations, Lemay amènerait le pain et les jeux et surveillerait la barre à l'occasion. Malgré l'apparente simplicité, les discussions furent difficiles, mais néanmoins concluantes. Ils arrivèrent à un accord. Selon ses dires, John le Rouge en avaient même écrit tous les termes dans le but de présenter le résultat à ces matelos et définir les tâches de chacun. Une cérémonie pour nommer le co-capitaine Lemay a d'ailleurs été organisée. Personne ne savait vraiment ce que ça voulait dire comme titre, mais ils ont applaudi béatement.

Mais voilà, une semaine avant le départ, il s'avère que plusieurs sujets d'inquiétudes restaient en suspend. Plusieurs étaient toujours inquiets du déblocage des choix pour le Repêchage de 2024. Vers où mettait-on le cap, irait-on vers la contrée lointaine de l'Expansion, ce rivage stimulant et faste, mais dont plusieurs matelos redoutaient la traversée autant que la destination? Mais voilà, John le Rouge restait avare de commentaires, parfois même carrément introuvable. Lemay lui laissa d'ailleurs un mot dans sa cabine le 24 septembre.

Capitaine, je sens de l'impatience chez les matelos. Le déblocage des choix de Repêchage 2024 me semble très important, ainsi que la décision de destination. Allons-nous vers l'Expansion, attendons-nous une autre année? Par ailleurs, je m'inquiète de ne point vous voir sur le pont le 1^er octobre, peut-être devriez-vous me laisser la clé permettant de débloquer la barre afin qu'on puisse partir le moment venu?

Cette dernière demande fut d'ailleurs réitérée le 28 septembre devant l'absence de réponse du concerné. C'est finalement le 30 septembre en soirée que la dite clé fut donnée au co-capitaine. Il s'avère donc que la traversée pourra commencer comme prévu le 1^er octobre, comme ça avait toujours été le cas depuis 11 ans maintenant. Heureusement, John le Rouge avait aussi fourni les réponses demandées par les matelos. Les inquiétudes étaient maintenant derrière eux. Le 1^er octobre, Lemay entama donc la traversée. Il savait à peu près où il allait, mais il resta surpris de ne point voir Jo sur le pont. Après tout, personne ne savait vraiment quelle responsabilité Lemay avait. Il était évidemment clair pour tout le monde qu'il s'occupait des divertissements, d'ailleurs les activités avaient prises leur envol même avant le début de la traversée, même la belle Victoria avait accepté de faire la traversée avec eux. Mais dans le fond, personne ne savait qu'il tenait la barre pour la forme. Il ne décidait pas où il allait, par ailleurs, John le Rouge, ne lui avait laissé que quelques cartes sans itinéraires précis. Il était capable de commencer la traversée, mais avait-il tous les éléments en main pour mener à bien tout le voyage?

Dans les discussions de l'été entre Lemay et Jo, il avait été question d'introduire de nouvelles activités, entre autres un match des étoiles. Après avoir eu l'assentiment de Jo, Lemay réunit tous les matelos pour les sonder sur le sujet. C'est pas mal unanime, les matelos sont satisfaits du niveau actuel d'activités. Certains en prendraient possiblement plus, mais pour d'autres, ça sonnerait leur coup de mort. Les activités, c'est une partie importante pour les matelos, ils doivent y mettre beaucoup d'efforts, mais à la fin s'ils ont bien performé, ils auront droit à un plus grand partage des butins. Lemay prend quelques jours pour y penser et consulter John le Rouge. Car voyez-vous, c'est une question qui touche les activités, clairement dans les tâches de Lemay, mais ça touche le partage des butins (tâches de Jo) et la rétention des matelos (tâches de Jo). Lemay avait pensé à un compromis intéressant, il laisse la suggestion à Jo en lui écrivant un texte dans sa cabine, mais ce dernier est introuvable. Peut-être le Messie se sauve-t-il en marchant sur l'eau, John a-t-il été avalé par la baleine? Dans tous les cas, impossible d'avoir son opinion. Du côté des matelos, on se questionne, certains ne comprennent même pas qu'il y a une décision à prendre. « Si ça entraîne le départ de certains, on ne devrait même pas se poser la question ». Lemay finit par plier, ce n'est pas à lui à prendre cette décision, mais bon, il faut bien que quelqu'un le fasse. Au bout d'un certain temps, il annonce à tous qu'il n'y aura pas de nouvelles activités. Ça va rester comme ça, fuck les compromis et les propositions, on va se contenter du minimum et garder l'équipage à flot.

La traversée se déroule somme toute bien, il n'y a pas trop d'écueils, l'océan est calme. À première vue et de l'extérieur, tout semble au beau fixe. John le Rouge se fait cependant de plus en plus absent. En octobre, on le voyait une fois de temps en temps. En novembre, les journées d'absence s'allongent jusqu'à devenir des semaines. Cette tendance s'alourdit en décembre. Les signes d'inactivité sont flagrants dans sa cabine, il n'y a clairement pas mis les pieds depuis un méchant bout. Les matelos commencent à s'en inquiéter. « Hey Lemay, tu ne sais pas ce qui arrive au Capitaine? », « Non, aucune nouvelle ». Lemay trouve la tâche de plus en plus difficile. Pour les activités, tout va super bien, il suit le rythme. La barre s'avère cependant de plus en plus pesante à tenir. Pas que l'océan est plus retors, mais il sait de moins en moins s'il peut se fier aux directions laissées par John le Rouge. Bien beau naviguer vers l'Expansion, mais qu'y fera-t-on un coup arrivé là-bas? Jo sera-t-il là seulement? Par ailleurs, on fait quoi avec les matelos qui ne rencontrent pas les exigences minimales pour faire partie du voyage? Qu'arrivera-t-il s'il y a une tempête? Lemay gère les activités, ok, mais c'était écrit où dans le contrat que Jo peut s'absenter n'importe quand sans donner de nouvelles ou de directions? On met un gouvernail dans les mains du fou du roi et on espère que ça ne fera pas trop de vagues? Lemay se sent de moins en moins à sa place, il tient la barre sans la tenir, il fait au mieux, fait comme si tout allait, mais ça fait déjà un certain temps qu'il l'a tient pour qu'il semble y avoir quelqu'un derrière la barre. Celui qui doit caller les shot, c'est Jo, et rien n'indique qu'il sera de retour rapidement. Le tout serait gérable s'il avait au moins un signe de lui.

Le 17 décembre, Lemay décide de laisser un message dans sa cabine. Il met aussi un email à la mer au cas où ça porterait plus ses fruits. En gros, il informe Jo qu'il s'inquiète pour la suite, qu'il a peur que son absence finisse par nuire au bon déroulement de la traversée et qu'il devra prendre les choses en main s'il n'a aucune nouvelle, pour le bien du groupe. Devant l'absence de réponse et suite à une expérience traumatisante dans sa vie personnelle, Lemay décide de passer de la parole aux actes le 27 décembre. Cette situation lui gruge de l'énergie depuis trop longtemps, pas parce qu'il tient la barre, mais parce qu'il la tient juste pour montrer que quelqu'un la tient, parce qu'il la tient sans savoir où il s'en va et sans savoir s'il pourra compter sur un quelconque soutien le moment venu. Aucune prévisibilité, aucune communication, un moment donné il faut soit prendre le contrôle sur ce qui nous accable, ou lâcher prise et donner le contrôle à quelqu'un d'autre. En ce 27 décembre, c'est la première option qui prévaut. Il réunit tous les matelos sur le pont :

Matelos, ce n'est un secret pour personne, mais le Capitaine du Rocket n'est plus l'ombre de lui-même depuis le début de la traversée. Heureusement que l'équipage a les reins solides et ne réside pas seulement dans les efforts de son Capitaine. Qu'on se comprenne bien, je ne veux aucunement diminuer ce que Jo a fait pour le Rocket à travers les années. Chaque membre de l'équipage a soigneusement été choisi par lui. Chaque activité a initialement été pensée et perfectionnée par lui. Même la refonte des activités de cette année a été longuement discutée et peaufinée avec lui. Il y a beaucoup de travail qu'il faisait dans l'ombre, en plus des miracles qu'on l'a vu exécuter en plein jour. Bref, le Rocket d'aujourd'hui est ce qu'il a toujours voulu. Il aurait peut-être bien coulé depuis des années s'il n'avait pas été là pour parer les tempêtes.

Depuis cet été, Jo a décidé de partager ses responsabilités. En gros, Jo devait assurer la gestion de l'équipage et de tout ce qui encadrait le voyage. Recruter des nouveaux matelos, s'assurer qu'ils rencontraient le minimum requis pour faire partie de l'équipage, mettre des membres de l'équipage dehors au besoin, voir aux règlements à bord, effectuer le partage des butins. De mon côté, j'assurais le volet activités et tout ce qui s'y rattachait. On a d'ailleurs eu plusieurs communications cet été pour élaborer tout ça. Bref, cet été, tout ça tenait. Cependant, dès le début de la traversée, Jo a été de moins en moins présent, jusqu'à actuellement, où il ne se présente que très rarement, environ une fois par mois. Vous comprendrez que ce n'est pas tout à fait le degré d'engagement qui avait été entendu au départ. Je ne juge pas les raisons personnelles, il en a assurément de bonnes, mais la barre n'est plus tenable de mon côté.

Être co-capitaine était envisageable pour moi, être Capitaine est une grosse coche de plus. Pour moi, co-capitaine voulait dire qu'on avançait ensemble, ça voulait dire séparer les responsabilités, pas me les domper de façon impromptue. Je ne suis plus capable de vivre la situation actuelle. Avoir la pression de tenir la barre, mais d'avoir les mains liées. Nommez-moi Capitaine jusqu'à destination et je vais vous mener là où Jo a promis de vous amener. Nous maintiendrons le cap vers l'Expansion, par contre je ne me sentirais pas à l'aise d'appliquer les règlements qui jugent le rendement de l'équipage. Bref, aucun matelos ne sera pénalisé. Comment pourrais-je appliquer des sanctions alors que le premier à en faire les frais serait John le Rouge? Êtes-vous prêts à me suivre?

« Oui, mais s'il vous plaît, n'allons pas vers l'Expansion! »
« Oui, mais de grâce, maintenons les règlements sur la participation. »
« Oui, où tu iras nous irons! »
« Non à l'Expansion! »
« Oui, Lemay a fait une bonne job! »
« Mutinerie! »
« Personne ne peut prendre la place de John le Rouge, plus rien ne fait de sens sans lui. »
« Quiconque pense à le remplacer devra me passer sur le corps »

C'est sur cette phrase du matelos Chénard que le ciel s'illumina. Une lumière à peine supportable à l'œil nu couvrait tout, obnubilait tout. C'était le Messie dans toute sa splendeur. Il marchait sur l'eau, le retour de la légende. Aucun matelos ne pouvait détourner les yeux. La voix de leur Capitaine envahit l'espace et s'insinua dans leurs cœurs.

Je suis là
Je vais bien
Je suis désolé d'avoir été moins présent
Je me plierai à votre décision

Aussi rapidement qu'ils s'était manifestés, la lumière et la silhouette s'estompèrent, laissant un équipage proche de l'extase, heureux de retrouver le seul et unique capitaine. C'est alors que Lemay repris la parole.

Je vois bien que vous êtes tous chamboulés, je le suis aussi. Je n'aurai jamais la prétention d'être le Capitaine. Je proposais de prendre la barre en attendant qu'il revienne, mais je ne peux pas juste la tenir en restant dans l'incertitude, sans savoir s'il reviendra pour vrai, s'il sera là lorsque j'aurai la barre dans les mains en pleine tempête. Soit j'ai les coudées franches, soit je ne les ai pas et je devrai laisser la barre à quelqu'un d'autre. Je m'attendais à une réaction plus unanime dans les circonstances exceptionnelles que nous rencontrions. Ai-je dit que Jo perdrait sa place? Ai-je dit que je voulais lui faire faire la planche, le bannir de son propre navire? Je n'ai rien dit de tel, je dis seulement que quelqu'un doit tenir la barre et que cette personne doit avoir la légitimité de décider. Si je vous comprends bien, le mirage du Capitaine est plus rassurant que les mains qui tiennent déjà la barre depuis plusieurs mois? Peut-il reprendre son bien? Avez-vous une meilleure solution à proposer? Êtes-vous au moins conscient qu'il faut que quelqu'un tienne cette barre, porte cette croix… Je vais continuer à m'occuper des activités, mais le poids de cette barre dans ces conditions est en train de m'écraser… et sans en vouloir d'aucune façon à Jo, il n'a rien fait pour aider ma situation.

C'est alors que Lemay se tourna vers Chénard et s'adressa directement à lui.

Toi qui est le chien de garde de notre bien-aimé Capitaine, peux-tu prendre en main son gouvernail jusqu'à ce qu'il soit capable de s'en occuper lui-même?

Lemay n'attendit pas la réponse, il s'en alla dans sa cabine. Ils décideront bien ce qu'ils veulent faire… il était fatigué et avait bien du sommeil à rattraper.

Martin Lemay NRJ, en collaboration avec le Venice House Journal.

 

Martin Lemay NRJ / 02/01/2023